La Justice me fascine.
Peut-être parce que, n’y connaissant rien – ou presque – j’ai du mal à m’y retrouver. Savoir qui fait quoi, qui commande, qui dirige, dans quel ordre se traitent les dossiers dans ce royaume inconnu au langage et aux codes hermétiques pour le profane que je suis.
Alors quand une juge – pardon, un procureur ! – se met à raconter ses histoires sur Twitter, dans un style alerte et en bon français (ce qui est rarissime sur Twitter, il faut bien l’admettre), j’adhère et je me mets à le follower. Quel plaisir d’être l’un de ses « touitoui » qu’elle interpelle en début de semaine ou lorsqu’elle a un grave problème de manucure à régler. Ainsi va la justice à Trifouillis-le-Baveux (seule l’élite comprendra.)
Ses petites anecdotes et ses fioretti et histoires de parquetier m’aident à comprendre un peu les clefs de cet immense domaine régalien. La Res Publicae prend un nouvel éclat sous sa prose, en particulier les zones d’ombres de notre société française.
YesSir (son pseudo Twitter) est donc un juge (elle va bondir mais on s’en fout, ce n’est pas elle qui écrit cette fois, ah, ah.), une femme, une multi-tatouée, une pro-IVG (le sujet la fait démarrer au quart de tour) et sans doute une ex-gothique assagie. Bref, n’a-t-on à faire qu’à l’une de ces intellectuelles gauchistes qui a fait l’Ecole de la Magistrature pour faire payer le bourgeois qui se plaint de s’être fait voler, et libérer le voleur (variante twittesque : le rom, la racaille, le rebeu) qui n’est – forcément – qu’une victime de la société ?
C’est ce que, d’une façon simpliste, certains pourrait imaginer.
Mais dans ses tweets et dans ce livre, c’est toute la complexité de la justice (et de sa procureur – auteur) qui s’expose avec talent.
Avec elle nous plongeons dans les abysses sombres de notre société. Sous des pseudo, et protégés surement par quelques distorsions volontaires des lieux et des dates, nous suivons les histoires tristes de Damien, Maryse, Maris ou Louise. Des histoires de coups et blessures, de viols et d’inceste, d’alcool, de passions amoureuses et d’adultères souvent, de fragilités humaines, de pauvreté (et pas que pécuniaire), de jalousies idiotes et vengeances et disproportionnées, intrinsèquement mélangées.
Avec elle nous grelotons de froid, au milieu de la nuit, sous cette pluie humide, en patientant devant une bâche qui cache mal un corps froid, le médecin légiste qui se fait attendre.
Avec elle, la colère nous gagne face à certains accusés qui ne laissent même pas une chance de se reconstruire à leurs victimes.
Avec elle nous croyons ces victimes que tout le monde rejette pour ne pas salir le clan familial.
Avec elle nous bouillons de ces demies-victimes qui ressortent du tribunal retrouver leurs bourreaux – jusqu’aux prochaines scènes de ménage, jusqu’au prochains coups échangés – y compris celui de trop.
Alors, bien sûr, on peut ne pas aimer toutes les facettes de YesSir, mais ce n’est pas du tout le sujet de cet opus.
« Dans les yeux d’un procureur » est avant tout un livre qui se lit – se dévore ! – en quelques heures et constitue une introduction bienvenue dans le monde de la justice quotidienne, ce mal nécessaire de notre société, et de toute société humaine depuis que Caïn a tué son frère Abel par jalousie.
Continuez, YesSir, continuez à nous égayer de vos fioretti de proc’, vos « Chroniques de la justice quotidienne », ces tranches de vie qui font vos semaines (et certaines de vos nuits, apparemment), cette boue humaine qu’il faut bien charrier et que pour rien au monde je ne souhaiterais gérer à votre place. Vous dites que vous ne savez faire que cela ? Et bien vous le faites bien. Et rien que pour cela, je vous en remercie.