L’essor des cryptomonnaies trouve son origine dans plusieurs raisons fondamentales que les dirigeants ne doivent surtout pas négliger.
Il est possible de distinguer quatre raisons principales :
- La digitalisation du monde entier,
- Le progrès technologique,
- La puissance des nouvelles entreprises d’envergue mondiales,
- La défiance envers les monnaies nationales.
Le troisième point est, de loin, le plus embêtant pour les dirigeants des Etats Nations.
Un monde réellement interconnecté
Commençons par le premier point. Une cryptomonnaie peut désormais se répandre à travers toute la planète rapidement car le monde entier est informatisé et interconnecté. On peut affirmer, même s’il y a des nuances locales évidentes, que tout le monde a un ordinateur ou un smartphone connecté à internet, aussi bien les entreprises que les particuliers, les associations ou les services de l’Etat (administrations et services para-publics assimilés). Et l’ensemble du monde et des entreprises utilisent des services numériques. Ce qui rend la population mondiale accessible à tout contenu numérique en général, et à aux monnaies digitales en particulier.
Des quatre coins du monde (j’adore cette expression, elle est d’un baroque !) une personne peut négocier, acheter ou vendre dans une monnaie digitale, que ce soit le dollar ou le bitcoin. En un mot, le potentiel est là.
Les conditions technologiques de l’émergence des cryptomonnaies
Le second point, c’est l’aspect technologique : il ne suffit pas que tout le monde soit interconnecté pour qu’une monnaie virtuelle existe, il faut aussi que les technologies numériques existes, en particulier la blockchain et le paiement en ligne.
Sans la blockchain, une monnaie virtuelle internationale, c’est le Fleurin d’Interflora. Vous savez, ce réseau international de fleuristes. Ils ont mis en place l’équivalent d’une monnaie virtuelle – le Fleurin – pour pouvoir échanger des transactions d’un fleuriste à l’autre. C’était dans les années 50-60.
Avec la blockchain, les monnaies virtuelles gagnent en transparence et en traçabilité. L’objet n’est pas ici de rentrer dans le détail du fonctionnement d’une blockchain mais disons simplement qu’avec cette technologie, tous les échanges et tous les historiques sont connus et – jusqu’à nouvel ordre – infalsifiable.
On peut dire paradoxalement que la blockchain a apporter de la crédibilité aux monnaies virtuelles.
Quant au paiement en ligne, il se généralise parce que la puissance des débits numériques permet l’essor du e-commerce (et de toutes les e-transactions d’ailleurs). Avec des modems 56Ko ou des téléphones portables 3G, c’était impossible. Pour mémoire, les premiers smartphones sont apparus il y a quinze ans seulement et le premier iPhone a été commercialisé mi-2007.
Les entreprises numériques mondiales
Le troisième point à souligner est l’émergence d’entreprises privées d’une puissance mondiale inégalée à ce jour. On pense évidemment aux GAFA (Google Amazon Facebook Apple) mais ce serait réducteur. De très nombreux groupes privés ont désormais des capitalisations et des organisations mondiales qui leur permettent de rivaliser avec des Etats souverains, voire d’agir comme des Etats.
Il faut distinguer une monnaie virtuelle comme le Bitcoin, aussi célèbre soit-il, et les monnaies virtuelles que souhaitent lancer des multinationales puissantes. Le bitcoin a été lancé par un homme (ou un groupement d’hommes) nommé Satoshi Nakamoto. Le bitcoin est une monnaie de puriste, des acteurs mettant en œuvre une théorie économique mathématique. Il n’y a pas d’idée de concurrencer les Etats-nations et leurs monnaies souveraines, juste l’idée de mettre en œuvre un concept.
Une monnaie telle que le DIEM, que lance Facebook et 27 autres entreprises privées est d’un autre tonneau. Même s’ils jurent leurs grands dieux de leurs objectifs philanthropiques, ils sont bel et bien en train de créer volontairement un outil de négoce ayant pour objectif de suppléer aux monnaies nationales, ou plutôt aux monnaies qui servent de transactions internationales : le dollar, l’Euro, le Franc Suisse, Le Yen, la Livre Sterling, pour ne citer que les principaux.
Les réactions pour le moins glaciales des chancelleries nationales prouvent bien que le danger est réel et bien perçu.
La fin des monnaies régaliennes
Nous en arrivons au quatrième point : la défiance envers les monnaies traditionnelles
Une monnaie repose traditionnellement sur la confiance que les utilisateurs lui apportent. Si vous êtes persuadé que le petit bout de papier froissé que vous tenez entre vos mains vaut dix dollars parce que c’est écrit dessus et que, où que vous alliez, aujourd’hui ou dans cinq ans, il aura (quasiment) toujours la même valeur, et qu’en plus des millions de personnes pensent comme vous, alors, cette monnaie a un avenir.
A l’inverse, si vous êtes la devise d’un pays à l’économie chancelante et que plus personne n’a confiance en ces mêmes petits bouts de papiers qu’on appelle les billets de banque, alors votre monnaie ne vaut plus grand-chose. Demandez aux Libanais ou aux Zimbabwéens ce qu’il en est.
Aujourd’hui, les monnaies internationales citées plus haut (dollar, euros, yen, livre sterling, Franc suisse) donnent confiance. Ou faudrait-il écrire « donnaient » confiance ? C’est là toute la question.
En dehors du Franc Suisse, toutes ces monnaies sont liées à des pays ou des zones économiques (pour l’euro) très fortement endettées et pour lesquels les banquiers centraux ont largement fait tourner la planche à billets. On dit « quantitative easing » pour faire moderne, mais ce n’est ni plus ni moins que de la dévaluation masquée.
Une dévaluation peut constituer un outil de politique monétaire, incontestablement. Mais plus le temps passe, plus l’outil devient comme un acide qui vient ronger la confiance des utilisateurs. Que vaut réellement un dollar ou un euro quand la banque centrale peut en émettre tant et plus pendant des années ? On peut légitimement se poser la question.
En un mot comme en cent, la signature n’est plus aussi fiable qu’elle l’avait été. Certes, cette perte de confiance est marginale, mais elle est réelle.
Face à une monnaie décrédibilisée, tout un chacun est tenté de trouver une solution de remplacement, une alternative. C’est là que les cryptomonnaies entrent en jeu. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les premiers à s’être saisi de ces monnaies sont les réseaux mafieux et le darkweb ; en un mot tous ceux qui veulent faire passer leurs activités sous les radars étatiques, le plus souvent en raison de leur caractère illégal.
D’autres acteurs, plus « geek » que mafieux s’en sont emparés, poussés par la curiosité technologique, puis de là des entrepreneurs visionnaires et quelques médias spécialisés, puis enfin, le large public et les médias grand public, dits « mainstream ».
Tous, à un degré plus ou moins marqués, font le même raisonnement : la confiance envers les monnaies nationales est légèrement érodée et cela devrait s’accentuer car les Etats ne font rien pour que cela cesse (voire, ils font tout pour que cela s’accélère) ; si l’on anticipe un peu cette évolution, que se passera-t-il quand la confiance aura totalement disparue en ces monnaies dites « de référence » ?
Leur réponse est rationnelle : il faut disposer d’une alternative crédible pour échanger des biens et des services. Un véhicule pour pouvoir commercer (ou troquer) et qui soit le plus largement accepté.
Bien sûr aussi, ce discours a un côté « survivaliste » ou « collapsologue » et il n’est pas sûr que les monnaies ou les civilisations s’effondrent brutalement. Mais qui peut l’exclure ?
Le rapport de force qui va désormais s’établir entre les monnaies « de références » et les cryptomonnaies repose uniquement sur la confiance qui leur sera accordée. Tant qu’un industriel italien préférera se faire payer par son client sud-africain en dollars américains, la devise US a de beaux jours devant elle. Le jour où les acteurs économiques (qu’ils soient entreprises, particuliers, Etats, banques,…) auront le même niveau de confiance (ou de défiance d’ailleurs) dans ces monnaies nationales que dans ces monnaies virtuelles, alors ces cryptomonnaies seront en mesure de tuer des monnaies nationales.
Aujourd’hui, la volatilité du Bitcoin, couplée à l’absence de projet de pouvoir (au sens pouvoir régalien) de ses fondateurs, à quelques scandales de démarrage (salles de trading qui disparaissent du jour au lendemain) et aussi à la nouveauté des monnaies virtuelles, limite la confiance que le public peut lui apporter.
Maintenant imaginons une monnaie virtuelle qui ne souffre pas de cette volatilité, qui soit bien gérée et qui jouisse d’un marketing et d’une communication professionnelle, établie par des mains expertes. Elle aurait tous les atouts pour challenger les monnaies nationales.