Alors que ces dernières semaines ont vu les tensions s’accroître entre l’Ukraine et la Russie, et la crainte d’une nouvelle guerre réapparaître, regardons de plus près quelle est la situation sur le terrain.

Bruits de bottes à la frontière Est

 L’Ukraine accuse la Russie de masser des troupes à la frontière entre les deux pays. En effet, depuis septembre 2021, la Russie aurait déployé environ 100 000 hommes à proximité de sa frontière avec l’Ukraine, selon des sources européennes et américaines.

D’aucuns accusent la Russie de chercher à envahir l’Ukraine, ou au moins une partie du territoire ukrainien : le Donbass. Le Donbass est une région située dans l’est de l’Ukraine, frontalière de la Russie, majoritairement russophone, et qui correspond à peu près aux régions (oblasts) de Donetsk et Lougansk. Le Donbass est notamment riche en charbon. Les habitants de la région ne font pas confiance au pouvoir ukrainien, et seraient plutôt favorable à un rattachement à la Russie.

Ukraine, de Vladimir Le Grand à la chute de l’URSS

Les liens qui lient la Russie à l’Ukraine sont anciens et complexes à comprendre d’un point de vue occidental. Les Russes considèrent souvent l’Ukraine comme le berceau de leur civilisation. En effet, c’est là qu’en 988, Vladimir Ier le Grand, prince de la Rus’ de Kiev, a reçu le baptême dans la foi chrétienne, converti par Saint Cyrille et Saint Méthode.

L’Ukraine, après les guerres cosaques aux XVIIème et XVIIIème, l’Ukraine fut incorporée à l’Empire Russe sous l’autorité du Tsar de toutes les Russies. Après la Révolution d’octobre en 1917, l’Ukraine est incorporée à l’Union Soviétique naissante. Les premières années sont très dures, notamment en 1933, lorsque les commissaires politiques communistes nommés par Moscou confisquent la récolte des paysans ukrainiens pour les affamer. La famine fera des millions de morts parmi les Ukrainiens, ce qui accentuera encore davantage la rancœur des Ukrainiens envers les Russes. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, les nationalistes ukrainiens de l’OUN-UPA de Stepan Bandera collaborent avec l’occupant nazi pour former la division SS Galizien et libérer l’Ukraine des communistes et des Polonais (la moitié ouest de l’Ukraine étant historiquement polonaise). Les nationalistes ukrainiens massacreront des centaines de milliers de civils.

L’Ukraine reste donc une des quinze républiques soviétiques. Terre prospère et extrêmement fertile, elle se développe rapidement après la Seconde Guerre Mondiale, à tel point qu’en 1991, à la chute de l’U. R. S. S., le niveau de vie y était légèrement meilleur qu’en Russie. En 1954, Nikita Khrouchtchev, premier secrétaire du Parti Communiste de l’Union Soviétique, rattacha la péninsule de Crimée à la République Socialiste Soviétique d’Ukraine.

L’apprentissage douloureux de la démocratie

En 1991, l’Union Soviétique s’effondra et l’Ukraine, la Russie et les treize autres républiques socialistes soviétiques prirent leur indépendance. La Crimée resta ukrainienne, et obtint en 1995 un statut de république autonome au sein de l’Ukraine.

L’Ukraine après l’indépendance a connu de grandes difficultés, le pays étant tiraillé entre les Ukrainiens de l’Ouest favorables à un rapprochement avec l’Occident, avec à terme la perspective d’intégrer l’Union Européenne et l’OTAN, et les Ukrainiens de l’Est, russophones et voulant rester dans l’orbite russe. Le pouvoir central, à Kiev, sous la présidence de Léonid Kravtchouk (1991-1994), puis de Léonid Koutchma (1994-2005), a toujours été relativement proche de Moscou, même s’il a établi de bonnes relations avec les pays occidentaux.

En 2004 a lieu l’élection présidentielle en Ukraine. Deux candidats s’opposent : d’un côté, Viktor Ianoukovitch, candidat pro-russe, et de l’autre, Viktor Iouchtchenko, candidat pro-européen. Au soir du premier tour, les deux candidats sont dans un mouchoir de poche, avec un très léger avantage pour Iouchtchenko. Les élections sont entachées de fraudes massives. Entre les deux tours, Iouchtchenko est empoisonné à la dioxine, probablement par son adversaire sur ordre de Moscou. Au second tour, Ianoukovitch est annoncé gagnant avec 49 % des voix, contre 46 % pour son adversaire. Aussitôt, d’immenses manifestations, instrumentalisées par les États-Unis, ont lieu dans tout le pays pour dénoncer la fraude électorale : c’est la Révolution Orange. Le pays vit plusieurs semaines très tendues. Finalement, le second tour est annulé, un nouveau second tour a lieu, remporté par Iouchtchenko, qui est investi président en janvier 2005. C’est un camouflet pour la Russie, qui voit l’Ukraine s’éloigner de son orbite. Ianoukovitch vaincra finalement Iouchtchenko à l’élection présidentielle suivante en 2010 et deviendra président.

Fin 2013, le président Ianoukovitch refuse de ratifier l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union Européenne, prélude à un rapprochement avec l’Occident. Le peuple ukrainien interprète cela comme une volonté de faire revenir le pays dans le giron russe. Cette décision déclenche d’immenses manifestations pro-occidentales dans le pays. Ces manifestations culminent autour de la place Maïdan Nezalejnosti (Place de l’Indépendance) à Kiev. Les manifestations sont violentes et font de nombreux morts et blessés aussi bien dans les rangs de la police que des manifestants. Après trois mois d’émeutes, le président Ianoukovitch est renversé et part en exil en Russie. Un président pro-européen, Petro Porochenko, est élu dans la foulée.

Sécession du Dombass

Mais les pro-russes ne désarment pas. Ils font sécession dans l’est du pays pour former deux républiques pro-russes : la République Populaire de Donetsk (RPD) et la République Populaire de Lougansk (RPL), soutenues par la Russie. La Crimée quant à elle, est annexée par la Russie suite à un référendum dans des conditions plus que douteuses et au mépris du droit international. L’intégrité territoriale de l’Ukraine a alors du plomb dans l’aile.

Une guerre civile larvée se poursuit sur la ligne de front, faisant de nombreuses victimes de part et d’autre. La Russie, en annexant la Crimée, récupère le contrôle du port de Sébastopol, port stratégique lui garantissant un accès à la Méditerranée par le Bosphore et les Dardanelles. La Russie, qui louait le port de Sébastopol à l’Ukraine, craignait d’en perdre l’usage si l’Ukraine se rapprochait de l’Occident.

Après presque dix ans de conflit larvé, il se peut que la Russie, profitant de la faiblesse du pouvoir ukrainien, et de l’affaiblissement de la politique étrangère américaine et européenne à son encontre, veuille régulariser la situation du Donbass en l’annexant purement et simplement à son territoire, comme elle l’a fait en 2014 avec la Crimée. La Russie a d’ores et déjà distribué des passeports russes aux habitants du Donbass, ce qui pourrait lui servir à justifier une éventuelle annexion de la région. Par ailleurs, le président russe Poutine a récemment émis un oukase ordonnant l’intégration de l’administration du Donbass à l’administration centrale russe. Ces signes pourraient laisser présager une annexion. Seul l’avenir nous dira si les craintes d’annexion du Donbass étaient fondées…

Enfin, on peut s’interroger sur la pertinence de la réponse européenne, dans la mesure où l’OTAN n’a cessé d’encercler le territoire russe de ses bases (Norvège, Pologne, Pays Baltes, etc…). Au Donbass, les Occidentaux déplorent une situation de séparatisme qu’ils encourageaient pourtant jadis au Kosovo, suite à leurs désastreuses interventions dans les années 1990. De plus, pour les Européens, s’aliéner la Russie pourrait fortement fragiliser leur indépendance énergétique à l’heure de la transition écologique, le gaz russe étant une énergie relativement peu coûteuse et décarbonée. Ces tensions révèlent aussi l’échec des négociations quadripartites au format Normandie (France, Allemagne, Russie, Ukraine), l’Ukraine n’ayant pas appliqué les décisions sur lesquelles les parties s’étaient pourtant mises d’accord. D’autres facteurs plus endémiques et propres à l’Ukraine contribuent à aggraver la situation, comme l’inexpérience et la faiblesse du président ukrainien, l’oligarchie locale, la corruption généralisée à tous les niveaux de l’État, l’influence néfaste de la CIA et la subsistance de milices ouvertement néo-nazies.