J’ai lu, en catholique français pratiquant, l’encyclique « Fratelli tutti ». En voici une brève analyse, comme un compendium pour ceux qui feraient l’erreur de ne pas la lire par eux-mêmes.

En refermant l’encyclique, un qualificatif me vient pour la résumer : « dérangeante ».

Son contenu m’a réellement dérangé. J’y ai lu des critiques en règles de la propriété privée, des frontières, de la lutte contre l’immigration, de la nation. J’y ai surpris des lubies ou des naïvetés qui me paraissent extrêmement dangereuses pour un dirigeant d’envergure mondiale concernant la fraternité mondiale ou le pacifisme de l’Islam.

Et puis je ne suis souvenu que notre Saint-Père a choisi d’être le premier pape à porter le nom d’un autre grand personnage dérangeant, naïf, fou, illuminé : Saint François.

Alors j’ai accepté de me faire bousculer en me disant que j’aurais surement été très remonté contre ce va-nu-pieds originaire d’Assise si j’avais entendu parlé de lui et de ses folies il y a huit siècles. Aller voir le Sultan en pleine croisades, alors que les musulmans avaient rasé Jérusalem et faisaient une guerre conquérante (et victorieuse) aux courageux soldats chrétiens qui cherchaient à les contenir. Ce petit moinillon de rien du tout, en guenilles, qui fait la manche et parle aux oiseaux ? Un illuminé, tout au plus. Or c’est pourtant bien lui le Pape de l’époque lui-même a vu dans un rêve comme le rempart contre l’effondrement de Rome.

Le Pape François n’est pas de gauche (contrairement à ceux, à gauche, qui crient « victoire ! »). Il n’est pas de droite non plus (contrairement à ceux, à droite rêveraient de mettre les papes dans leur camp – sauf celui-là, ce révolutionnaire !)

Dans cette encyclique, le Pape François veut juste nous rappeler à tous que nous sommes, avant toute autre considération, les enfants de Dieu. Et donc frères. Et que cette vérité trop souvent perdue de vue doit irriguer notre vie entière, en famille, en couple, dans nos entreprises, nos administrations, nos partis politiques et nos gouvernements et jusqu’à nos institutions internationales.

Il veut nous rappeler qu’il faut distinguer ce qui est normatif – ou autrement dit « essentiel » – de ce qui ne l’est pas. Et c’est bien cela qui est « dérangeant ».

Prenons exemple des migrants. Son propos est de dire que tout homme doit pouvoir choisir d’aller s’installer où il veut. Et que là où il prendra racine, il continuera à améliorer la communauté dans laquelle il s’implantera, par son travail, sa créativité, sa générosité, sa filiation, etc.

Mais il ne dit pas – contrairement à ce que certains voudraient lui faire dire ou rêvent d’avoir lu dans sa bouche – que les migrations telles que nous les vivons aujourd’hui sont une bonne chose.

En effet, il commence par dénoncer ces pays et ces régimes qui ne permettent pas à leurs peuples de s’épanouir localement et qui condamnent leur habitants à fuir.

Il rêve de migrants volontaires, mais ne s’illusionne pas sur les migrants contraints, par la guerre, la misère ou l’arbitraire.

Il dénonce des modèles économiques dans lesquels certains ont tout et d’autres rien.

 

Il ne récuse pas la propriété privée, il rappelle simplement que nous sommes des serviteurs de Dieu le Père, en charge de faire fructifier ses biens (paragraphes 118 à 120). Certains ont dix talents, d’autres un seul. Certains les gèrent bien, d’autres mal. Certains restent fraternelles, d’autres leur humanité en se concentrant sur leurs « talents » qu’ils croient être à eux – grossière erreur.

 

Le pape passe tout le chapitre 2 à filer la métaphore sur l’évangile du Bon Samaritain pour nous rappeler, là encore, le sens des priorités. Il nous invite à ne pas détourner nos yeux des souffrances présentes dans le monde, et à consacrer notre énergie à les adoucir. Il nous invite à regarder tous les hommes, y compris les incroyants ou les croyants d’autres confessions.

Il nous invite également à agir individuellement, sans attendre forcément l’intervention des Etats, des organismes officiels.

Il profite de cette encyclique pour rejeter avec force l’esclavage, le nationalisme et la xénophobie comme contraires au principe de fraternité des enfants de Dieu.

 

Dans le chapitre 3, le Pape François invite les communautés à être ouvertes, afin de ne pas se scléroser et de s’enrichir de l’apport des autres. Les règles de la communauté doivent faire la part belle à l’accueil d’autrui car c’est un frère en Dieu. Toute l’encyclique le rappelle, page après page : nous sommes tous frères.

Le pape ne dit pas pour autant que les règles de la communauté accueillante doivent être balayée par les nouveaux arrivants – suivez mon regard. Il condamne d’ailleurs l’universalisme qui uniformise en faisant fi des différences autant que les cosmopolites apatrides et fortunés.

Il pointe du doigt une certaine forme d’individualisme qui, sous couvert d’accueil généreux, ne cherche en fait que son avantage. Faire venir des migrants pour bénéficier d’une main d’œuvre peu qualifiée et la payer au rabais n’est pas de la fraternité, même sous des apparences de générosité.

L’individualisme ne rend pas frère, il crée des « partenaires » qui ont pour objectif caché (ou nié) de nous être « utiles », une horreur aux yeux du pape.

 

Le pape condamne aussi le libéralisme (paragraphes 106 à 111) qui dit que chacun est libre de vivre où il veut et comme il veut mais ne met pas en place des mesures spécifiques pour aider les plus pauvres, les plus fragiles, pour leur permettre d’intégrer le concert de la société. Il invite tout le monde, particuliers comme gouvernements à mettre en place des mesures de soutien aux personnes fragiles ou pauvres.

Il insiste sur la valeur de la solidarité, à la fois comme vertu morale, attitude sociale et pour son rôle éducatif. Servir, c’est prendre soin de la fragilité (paragraphe 115) et lutter contre les causes structurelles de la pauvreté (inégalités, chômage, absence de patrie, impossibilité de développer un foyer).

Il invite d’ailleurs à se sentir responsable de tout être humain, y compris de son pays. Un pays ou un régime qui contraint ses ressortissants à fuir est un problème à régler pour tous les autres pays. On peut très bien y lire une invitation à l’ingérence internationale, pour autant qu’elle ne masque pas une défense d’intérêts personnels (ou étatiques) sous couvert d’humanité.

Là encore, il invite les pays riches à avoir une option particulière pour les pays pauvres et pointe, entre autre, le poids de la dette dans la capacité de certains pays pauvres à s’en sortir.

 

Dans le chapitre 4, le pape François réfléchit aux conséquences concrètes, pour les pays, de cette petite expression « tous frères ». Cela concerne les problèmes migratoires, mais aussi la gestion des crises humanitaires : lorsqu’elles surviennent, il faut se montrer particulièrement généreux aux peuples éprouvés.

Il invite évidemment à des réponses supra-étatiques et invite à faire de ces chaos des opportunités de fraternités renforcées.

Mais le pape insiste également dans ce chapitre (et précisément dans ce chapitre intitulé « Un cœur ouvert sur le monde ») sur l’importance d’avoir des racines , une identité, un amour pour sa terre, son peuple, sa propre culture car elles sont nécessaires pour pouvoir être réellement accueillant. « Le bien de l’univers exige que chacun prenne soin de son territoire. »

L’inverse de cet enracinement, c’est la Tour de Babel, que Dieu a rejeté et foudroyé.

 

Le pape François continue son approche politique dans le chapitre 5 (« La meilleure politique ») en rappelant que la notion de peuple est légitime, qu’il distingue bien du populisme et du nationalisme (qu’il rejette). Il dénonce même l’abus de langage qui consiste à accuser de populisme tous ceux qui ont le souci du peuple (paragraphe 163).

Le vrai danger politique, pour le pape François, c’est l’égoïsme, la concupiscence. Il rejette d’ailleurs comme tel le néolibéralisme et souligne que la crise sanitaire de la COVID19 a rappelé à bon escient la fragilité du mondialisme.

Le pape met beaucoup de confiance dans les organismes internationaux, en particulier l’ONU et ses différents services, tout en rappelant le principe thomiste de la subsidiarité.

 

Dans le chapitre 7 « Des parcours pour se retrouver », il invite les hommes à la bienveillance, au pardon, à toujours repartir de la vérité, y compris pour régler les conflits (et non le rapport de force), allant jusqu’à ce cri utopique, « Plus jamais la guerre » qu’un Saint François n’aurait pas renié.

A plusieurs reprise il cite ses rencontres et son travail de réflexion avec le cheikh Ahmed Al-Tayeb imam de la mosquée al-Azhar en Egypte, laquelle est une réelle référence spirituelle dans l’Islam sunnite (le plus répandu). En cela, la pape François s’inscrit parfaitement dans la démarche de Saint François qui voulut établir un dialogue fraternel et en vérité avec ses frères musulmans, afin de les convertir.

Sans doute pour montrer à quel point le dialogue fraternel et en vérité devrait être un élément marquant des années à venir, le pape termine son encyclique sur l’exemple de Saint Charles de Foucauld, qui, sans rien renier de ce qu’il était ni de sa Foi, a voulu vivre en frère parmi un peuple musulman.

Cette encyclique est tout simplement un appel à faire concrètement de toute personne un frère et d’en tirer toutes les conséquences, quoi qu’il en coûte.