et liberticide 

Twitter est un outil tout à la fois addictif, amusant et pénible.

Addictif : un grand nombre de Twittos (le surnom donné à ceux qui utilisent Twitter) y retournent plusieurs fois par jour, pour y suivre le fil des échanges, scruter le nombre de « like » de leurs twits, s’ils ont été re-tweetés, commentés. Le Graal, c’est lorsqu’un de vos Tweets est repris ou commenté par un Twittos doté de très nombreux followers, telle une personnalité publique, que ce soit une star du sport ou du show-biz, voire – dans une moindre mesure – par une personne politique : là, vous savez que votre compte de tweets, de retweets et de commentaires va exploser, ainsi que vos followers. Bref, une consécration. En l’attendant, un p’tit coup d’œil vingt fois par jour sur Tweeter s’impose.

 

Amusant : Tweeter parle de tout et vous pouvez vous abonner à n’importe qui, et donc suivre n’importe quoi. Cela rend Tweeter divertissant. Vous pouvez découvrir le petit monde des « Vegan », celui de la Vènerie ou de ses opposants véhéments, tel micro-parti révolutionnaire etc, etc. Tweeter peut ainsi devenir une source d’information « de première main ». Ce n’est pas forcément fiable, mais au moins vous êtes à la source de l’information, et elle n’est pas moins manipulée que celle que voudront bien délivrer les grands médias nationaux, qu’ils soient TV, Radio ou Presse.

 

Pénible : Face à l’écran, le surmoi disparaît. Le surmoi, c’est ce frein qui fait renoncer à dire à haute voix en public certaines choses qui ne se disent habituellement pas, par correction, par courtoisie, par politesse.

Sur Tweeter, ça balance ! Les insultes sont légions, et ce d’autant plus que de nombreux Twittos sont anonymes. Pénible aussi ces échanges dans lequel chacun peut apporter son grain de sel même s’il n’a rien à dire d’intéressant. Pénible également les Tweets maculés de fautes de Français (et ce n’est même pas la faute de la limite imposée de 280 caractères, non, c’est juste l’indigence scolaire française qui nous explose au visage : de très nombreux Français sont sortis de l’école primaire analphabètes. Ni plus ni moins.)

Pénible enfin l’impossibilité de corriger les coquilles que l’on constate dans le dernier tweet que l’on vient de produire : la règle actuelle impose de laisser le tweet en l’état ou de le supprimer complètement.

Pénible enfin le parti-pris des dirigeants de Twitter de faire eux-mêmes de la politique et de censurer certains comptes avec une célérité étonnante quand d’autres comptes connaissent une étonnante magnanimité.

 A force de circuler sur Twitter, on peut finir par distinguer différents profils d’utilisateurs.

Tout d’abord, il faut distinguer deux catégories de comptes Twitter : les comptes anonymes, et les comptes identifiés.

Les comptes identifiés sont des comptes Twitter liés à une personne qui s’identifie volontairement, et assume publiquement ses prises de position. Avec les risques que cela comporte.

A l’inverse, les comptes anonymes permettent de s’exprimer sans barrière, voire sans retenue, en limitant quasi totalement le risque d’être identifié. Certaines personnes sont obligées de garder l’anonyme du fait de leur fonction. Tel salarié de l’Union Européenne qui dénonce la gabegie bruxelloise et les avantages scandaleux des fonctionnaires européens – dont il bénéficie lui-même par ailleurs : on comprend que l’anonymat est un impératif dans son cas. Même si cela jette l’ombre du doute sur tout ce qui est écrit.

D’autres comptes anonymes sont là uniquement pour déverser invectives et fiel sur le réseau. Certains anonymes s’en prennent ainsi courageusement à ceux qui ne partagent pas leurs convictions et profite de leur anonymat pour insulter dans des mots qu’ils n’oseraient pas utiliser en société ou qui tomberaient sous les foudres de la justice.

Enfin certains comptes anonymes sont là pour servir de relais discrets à des officines qui ne veulent pas dire leur nom. Ainsi le compte @ParisPasRose est très vraisemblablement un compte professionnel, alimenté quotidiennement une équipe dont c’est le métier. Jugez par vous-même : ce compte totalise à ce jour 218.000 tweets depuis décembre 2013, soit en moyenne 85 tweets par jour.  Leur anonymat permet un harcèlement ciblé, lequel peut aller loin, trop loin, puisque ce compte Twitter est cité en justice dans la tentative de suicide d’un photographe, Olivier Ciappa, que @ParisPasRose avait pris pour cible – car ne partageant pas sa ligne LBGT jusqu’au-boutiste.

D’autres comptes Twitter sont plus légers, Dieu soit loué. Ainsi il existe des Tweeters « WhatsApp ».

Les Twittos « WhatsApp » utilisent Twitter en mode conversationnel privé, sans s’inquiéter que leurs écrits soient visibles de tous. Protégés le plus souvent par un petit nombre de followers, ils twittent leur conversation avec leurs proches. « Tu es à l’arrêt de bus ? », « Oui et toi ? » « Ben non, je suis à la bourre. Attends-moi. », etc.

Il y a également les comptes Twitter d’entreprises, ou d’institutions, hôpitaux, mairies, ministères, corps constitués, et bien d’autres. Ces comptes sont le plus souvent un simple outil de communication institutionnel à ranger sur la même étagère que tous les outils de communication contemporains : Linkedin, GoogleMyBusiness, Instagram, Facebook. On y délivre l’actualité de l’entreprise, avec plus ou moins de talent.

Certains comptes sont gérés avec professionnalisme et rencontrent un certain succès, tel le compte de la Gendarmerie des Vosges @Gendarmerie088, qui mêle avec brio humour et messages professionnels.

 

Néanmoins, les Twittos les plus nombreux sont des particuliers. Parmi eux, une catégorie se détache parmi toutes les autres : les Twittos « Café du Commerce ».

Les Twittos « café du commerce » : de loin, les plus nombreux. Accoudés à Twitter comme autrefois au comptoir du bistrot, ils tweetent leurs solutions pour tout régler, car ils savent tout. Et surtout mieux que les hommes politiques, les dirigeants, les chefs d’entreprise, les préfets de Police, les militaires, les pompiers, bref, tous les corps constitués. Experts es-tout, ils vitupèrent d’autant plus qu’ils sont souvent anonymes – mais pas tous. On se demande comment l’Etat français peut encore avoir un seul problème non résolu avec autant d’experts à disposition.

Les Tweeters « longue traine » : comme souvent sur internet, Tweeters permet d’agglomérer une population disparate et numériquement faible. On doit pouvoir trouver sur Tweeter, un groupe de militants végans pro-Esperanto. Si, si, ça doit se trouver. Sur Tweeter et nul par ailleurs. C’est pratique, ils ont l’impression d’être légion quand ils ne sont que poignée insignifiante.

Autre catégorie de Twittos : les politiciens.

Les Tweeters – hommes politiques : ils sont tous là. Aucun homme politique digne de ce nom ne peut s’affranchir d’une présence digitale, entre autre sur Tweeter. Avec l’obligation d’y être actif.

Nous constatons en général que plus l’homme politique est insignifiant, plus sa présence sur Tweeter est élevée. Ainsi Madame Schiappa, Secrétaire d’Etat à l’égalité homme – femme (pardon, femme – homme. La force des symboles…) puis Ministre déléguée à la Citoyenneté (respect…) avait au compteur plus de 44.000 tweets à son actif en 12 ans de présence sur Tweeter, soit une moyenne quotidienne de 10 tweets par jour, dimanche et fêtes inclus. En comparaison, Nicolas Sarkozy n’en est qu’à 9.000 et François Hollande à 5.300. Tout homme politique qui se respecte se doit de réagir vivement sur Twitter à l’actualité.

Leur nombre de followers peut connaître la même courbe que leur popularité : Madame Ndiaye, éphémère mais ô combien marquante porte-parole gouvernementale, a ainsi vu son compte personnel passer de quelques dizaines à plusieurs centaines de milliers followers lorsqu’elle a été nommée. Leur comptes Twitter montent et descendent au gré des alternances politiques et des nominations. Sic transit gloria mundi.

 

Abordons ensuite une catégorie franchement agréable sur Twitter (et que Twitter gagnerait à identifier plus clairement), je parle des experts en leur domaine.

Les Tweeters experts : il y en a, et ils ont du mérite. Et effet, un Twitter expert, c’est une personne qui sait de quoi elle parle, car c’est son métier, le plus souvent, ou son expérience personnelle parfois. Experts nucléaire, expert militaire, agriculteur (expert en agriculture, hé oui ! ça change de l’écolo-bobo du 3e arrondissement de Paris qui explique – du haut de sa suffisance – comment il faut faire pousser le blé.), éleveur, pilote de ligne, policier, élu municipal, etc. En général, le Twittos expert s’efforce de rédiger des tweets en bon français, et de tourner ses phrases pour les rendre intelligibles et percutantes en 140 caractères. L’exerce est parfois un réel tour de force. Pour cela, ils deviennent des experts ex-tweets, afin d’utiliser toutes des fonctionnalités que leur offre le petit oiseau bleu : enchainement de plusieurs tweets sur un même sujet (« threads »), afin d’étoffer l’argumentaire, ajout de photos, de films, de sondages, liens vers des sites contenant de l’information sur le même sujet, et tout autre outil à leur disposition. Ils permettent une vulgarisation de leur expertise sans filtre journalistique.

Ils ont d’autant plus de mérite que leur discours est souvent mis sur pied d’égalité avec les experts de comptoirs, lesquels, « savent ». Et ce qu’il savent vaut autant, sinon plus, que les paroles de ces experts.

Twitter a récemment proposé une fonction qui permet de limiter les commentaires. Encore peu utilisée, cette fonction permet de couper court à certaines débilitées, mais cela ruine quand même un peu la notion de joute verbale inhérente à Twitter.

Les « re-tweeters » : certains tweetent, d’autres ne font que re-tweeter. Le compte de leurs tweets reste désespérément bas, en revanche ils retweetent, sans doute pour évangéliser autour d’eux sur ce qui a de l’importance pour eux. Tel militant ou sympathisant va retweeter systématiquement les tweets de son leader ou de leur organisation (quelle qu’elle soit : syndicat, parti politique, club, religion, commune, etc…).

Souvent cette démarche va de paire avec une logique « hashtagienne ». Le hashtag, ou mot-dièse est ce petit symbole « # » que l’on couple avec un mot ou une expression pour en faire un mot clé, un mot qui résume en quelque sorte ce qui est exprimé dans le tweet. Depuis ce week-end, le hastag le plus tendance en France est #DissolutionCCIF suite à l’attentat islamiste dont a été victime un professeur d’histoire, Samuel Patty (lui aussi devenu post-mortem un hastag tendance : #SamuelPatty).

Le #hastag est devenu un but en soi sur Twitter. Il s’agit de faire surgir un mot comme une tendance massive sur Twitter, afin d’en manifester toute l’importance et, partant, espérer donner au sujet l’importance qu’il mérite. Ainsi, la « Manif pour tous » (les opposants au mariage gay, à la PMA pour les couples de femmes, et à la GPA) a lancé auprès de ses sympathisants le hastag #ONLR pour « On ne lâche rien » : sous-entendu, si ce hastag est très tendance, c’est que le sympathisants de cette cause sont très nombreux, les élus devraient donc y faire attention. CQFD.

Et ça marche. Les Gouvernements ont pris l’habitude, fâcheuse, depuis l’émergence de Twitter, de suivre ces tendances et de réagir à celles-ci. Voire, ils essaient d’en créer, en lançant à travers leurs relais de sympathisants et obligés les mots-dièse sur les sujets qu’ils souhaitent mettre en avant.

Certains hastag sont plus innocents, tel le #lundifleuri qui pousse tous les … lundis (bravo, vous suivez !) et qui consiste à envoyer une photo d’un coin de nature fleuri ou un bouquet de fleurs assorti du fameux hastag.

 

Enfin signalons deux autres types de Twittos, un peu particulier.

Commençons par le Tweet-robot qui a une fonction systématique utile. Ainsi, le compte « Fallait Pas Supprimer » recueille des tweets supprimés. Comment font-ils techniquement ? Aucune idée. Mais ce compte permet de ressortir des oubliettes des tweets rédigés sous le coup de l’émotion, ou de l’énervement, et dont le contenu traduit parfois les pensées profondes de leurs auteurs. Ce qui, pour un homme politique, peut se révéler problématique. Ainsi le Ministre de l’Intérieur actuel, Gérald Darmanin a très récemment supprimé un tweet de 2013 où il se rendait à la #manifpourtous des opposants au mariage gay. Sept ans après, Monsieur Darmanin est dans le gouvernement qui tente de faire passer un projet de loi bioéthique qui ouvre – entre autre – la procréation assistée aux couples de femmes. Et qui s’y oppose le plus farouchement ? La Manif pour Tous, encore et toujours. La position devenant délicate, le Ministre tente – vainement – de supprimer les traces de son engagement. Le compte @FallaitPasSupr veillait fort heureusement, invitant Gérald Darmanin à plus de constance dans ses convictions.

 

D’autres comptes en revanche sont juste là pour pourrir Twitter. Ce sont des « bots », des comptes gérés par des robots, comptant sur un « effet volume » pourrait-on dire, avec pour seule mission d’amplifier tel ou tel sujet.

L’exemple suivant en est la parfaite illustration. Aux Etats-Unis, le candidat à la Vice-Présidence Américaine Mike Pence a-t-il eu une mouche qui s’est posée sur ses cheveux blancs lors d’un débat télévisé. Quelques minutes après seulement, on comptait plusieurs dizaines de comptes ouverts avec les mots Mike, Pence et Fly : @MikePenceFly_, @MikePenceFly, @pence_fly, @MikePencesFly22, @mikepenceisFLY, etc, etc. Sans doute ont-ils été créés par la cellule « Réseaux Sociaux » du Parti Démocrate pour nuire à leur challenger. Pas sûr que l’énergie d’un parti soit dépensée au mieux quand il s’abaisse à cela. Twitter se bat contre cette plaie en fermant chaque jours de très nombreux comptes fictifs mais tel l’hydre de l’Erne, ils repoussent sans cesse.

 Une député française, qui n’a sans doute rien compris aux réseaux sociaux, s’était fendue d’un projet de loi improbable et liberticide (la loi « Avia ») qui projetait de mettre fin à l’anonymat sur les réseaux sociaux. Retoqué par le Conseil Constitutionnel, le projet est passé aux oubliettes.

Twitter va pouvoir continuer à vivre, les Twittos, anonymes ou pas, vont pouvoir continuer de s’y donner à cœur-joie, s’écharpant en ligne, ce qui est quand même moins dangereux que dans la vraie vie.

Du moins tant qu’il restera de l’argent. En effet, le juge de paix de ce réseau social pourrait bien être son financement. Twitter n’a pas encore atteint son point de rentabilité économique et perd de l’argent tous les trimestres. Le petit oiseau bleu doit faire vite, avant qu’une nouvelle appli vienne lui voler la vedette. En attendant, twittons gaiement.