Le 2 juin dernier, les cinq pays d’Asie centrale – Kazakhstan, Kyrgyzstan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkménistan – et l’Union européenne ont tenu leur second Sommet de coopération. Passé relativement inaperçu sur les radars médiatiques, ce Sommet a été l’occasion de parler des sujets liés à leur partenariat économique et sécuritaire.

Sur les rives du lac Issyk-Kul au Kyrgyzstan, le cadre de la station balnéaire de Cholpon-Ata était propice à la détente et aux discussions de fond. Pour la tenue de ce 2e sommet Union européenne – Pays d’Asie centrale, le président du Conseil de l’Europe Charles Michel a mené la délégation du Vieux continent à plus de 6000km de Bruxelles. Pour les cinq présidents hôtes – Kassym-Jomart Tokaïev (Kazakhstan), Sadyr Japarov (Kyrgyzstan), Shavkat Mirziyoyev (Ouzbékistan), Emomali Rahmon (Tadjikistan) et Serdar Berdimuhamedow (Turkménistan) –, cette rencontre au sommet a marqué un nouveau succès diplomatique, dans le sillage du premier sommet organisé à Astana, la capitale du Kazakhstan, en 2022.

L’Asie centrale, centrale à plus d’un titre

Les deux parties ont le même agenda : institutionnaliser leurs relations politiques, promouvoir leurs échanges commerciaux et leurs partenariats économiques, et assurer la sécurité et la stabilité des pays d’Asie centrale. Côté « institutionnalisation », les sommets thématiques s’enchaînent. Plus tôt au printemps, l’Union européenne et les cinq pays concernés s’étaient déjà retrouvés lors du 2e Forum économique UE-Asie centrale à Almaty (18-19 mai) au Kazakhstan, lors du Forum de la société civile à Tachkent (10 mars) en Ouzbékistan, sans oublier la rencontre bilatérale consacrée aux ressources en eau et à l’environnement à Rome (23-24 février)… Les rendez-vous se multiplient, tant les intérêts communs sont évidents.

« L’Union européenne reconnaît l’importance stratégique de la région d’Asie centrale, qui fait le lien entre l’immense continent asiatique et l’Europe, souligne l’Union européenne sur son site web. En 2019, l’Union a actualisé sa stratégie pour l’Asie centrale pour mettre l’accent sur la résilience (en matière notamment de Droits de l’homme, de sécurité des frontières et d’environnement), la prospérité (et la connectivité en particulier) et la coopération régionale. Le Parlement européen soutient fermement la démocratie et l’état de droit par des initiatives concrètes, telles que la démocratisation en Asie centrale. La prise de pouvoir des Talibans en Afghanistan au mois d’août 2021 a mis en lumière le rôle crucial de l’Asie centrale en matière de sécurité et de stabilité. » Pour Bruxelles, cette stratégie de rapprochement avec ces pays –relativement lointains – s’appuie en effet sur deux impératifs : la stabilité et le développement de cette région qui présente des risques géostratégiques mais aussi des opportunités d’investissements.

Sur le dossier de la sécurité régionale, c’est évidemment le cas de l’Afghanistan (qui dispose de frontières communes avec l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan) qui a monopolisé les discussions lors du nouveau sommet de Cholpon-Ata, les diplomaties de ces trois pays n’étant pas forcément alignées au sujet du dialogue à mener – ou non – avec les Talibans. Dans ce contexte, les Européens, eux, misent sur la diplomatie kazakhstanaise qui a, ces quinze dernières années, montré une véritable maturité. En témoigne la présidence du Kazakhstan de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) qui avait abouti à la déclaration commémorative d’Astana sur la sécurité. Depuis la présidence de Noursoultan Nazarbaïev (1990-2019), le Kazakhstan a fait de « l’eurasisme » le pilier de sa politique étrangère : « Le Kazakhstan est en Asie un État unique dans lequel sont entrelacées racines européennes et racines asiatiques. (…) La combinaison de différentes cultures et traditions nous permet d’absorber le meilleur des cultures européenne et asiatique », expliquait l’ancien président dans l’un de ses livres. Et c’est bien cette position centrale qui attire les Européens.

Valorisation et diversification des atouts de l’Asie centrale

Outre les facteurs géostratégiques, les paramètres économiques et énergétiques sont saillants dans les relations entre les 27 et les pays d’Asie centrale. Lors de ce 2e sommet, les dirigeants ont ainsi renouvelé les promesses nées lors la conférence UE-Asie centrale sur la connectivité, tenue à Samarcande en novembre 2022 et intitulée Global Gateway. Objectif commun de cette offensive diplomatique européenne visant à répondre aux nouvelles Routes de la soie chinoises : intensifier les partenariats dans des secteurs stratégiques comme la sécurité énergétique, la digitalisation de l’économie, les transports, le tout sur fond de lutte contre le réchauffement climatique. « Nous continuons de montrer à nos partenaires d’Asie centrale toute l’importance que nous accordons à leur région qui est aujourd’hui coincée entre la Chine et la Russie, et qui a besoin de s’ouvrir de nouveaux horizons », soulignait l’Élysée, en marge de la visite du président kazakh à Paris, en novembre dernier.

Si la France et l’Europe « accordent de l’importance » aux pays d’Asie centrale, ce n’est pas un hasard. Ces derniers ont des atouts à valoriser et ne comptent pas être totalement dépendants de leurs principaux voisins – Russie, Chine, Iran et Turquie. Grâce à des taux de croissance de leur PIB oscillant entre +4 et +9%, ils développent par exemple leur propre stratégie interne. « Une Asie centrale stable devient l’un des centres importants de la croissance économique, remarque Anvar Nasirov, directeur de l’Institut international d’Asie centrale. Selon un certain nombre d’experts, le PIB total des pays de la région au cours des quatre dernières années a augmenté de 25% et a dépassé les 300 milliards de dollars. Les liens coopératifs se renforcent, des sociétés d’investissement paritaires et d’autres instruments financiers pour la mise en œuvre de grands projets ont été créés. » Parmi ces grands projets, conjoints entre le Kirghizistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan : la construction de mégacentrales hydroélectriques sur les fleuves Zarafshan et Naryn. Ces pays comptent bien diversifier leur approvisionnement énergétique et ne pas dépendre de leurs seules ressources en hydrocarbures.

Sur la scène internationale, les pays d’Asie centrale peuvent aussi compter sur le Kazakhstan – un pays près de 5 fois plus grand que la France – pour servir de locomotive à plusieurs niveaux. Son positionnement politique neutre à l’égard de la guerre menée par la Russie en Ukraine lui a par exemple permis d’envoyer de l’aide humanitaire à Kiev sans s’attirer les foudres de Moscou. Le gouvernement du président Kassym-Jomart Tokayev mène également une politique pragmatique et prudente en matière de prolifération nucléaire : le Kazakhstan, dont le territoire servait aux essais nucléaires de l’URSS, a depuis renoncé à l’arme atomique. « Lorsque vous travaillez l’impact des programmes nucléaires, vous pensez en comprendre l’ampleur, mais rien ne vous prépare quand vous voyez réellement la terre qui a souffert des essais et les gens qui ont souffert », explique Togzhan Kassenova, auteure du livre intitulé Atomic Steppe: How Kazakhstan Gave Up the Bomb. De là à faire du Kazakhstan la Suisse de l’Asie centrale, il n’y a qu’un pas.

Prochain rendez-vous en 2024 en Ouzbékistan, à l’invitation du président Shavkat Mirziyoyev. D’ici là, les participants au sommet de juin à Cholpon-Ata ont chargé Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, de formaliser la feuille de route conjointe destinée à approfondir les relations entre l’UE et les cinq pays d’Asie centrale, au-delà des considérations sécuritaires et économiques. Car les liens entre les deux zones devront à l’avenir s’élargir à la culture, à l’enseignement supérieur et au tourisme. L’Asie centrale pourrait bien devenir un nouvel Eldorado pour le Vieux continent.